La théorie du complot.
Le pas se fait pressant. Tu longes les murs sans faire vraiment attention à où tu mets les pieds. Tu bouscules des gens sur ton passage qui râlent aussitôt, mais tu t’en fiches, tu les entends à peine. Tu es déjà loin d’eux, loin de tout ça. Tu as vraiment bien choisi ton moment pour rentrer dans ta chambre. La sortie des classes ne pouvait pas
mieux tomber. Pourtant tu ne vas pas faire demi-tour maintenant.
Tu serres ta sacoche contre toi, gardant le battant au-dessus de l’ouverture pour empêcher les gens de voir ce qu’il y avait dedans. Tu ne sais même pas pourquoi tu as voulu prendre ce truc, toi le cleptomane accompli. Et tu ne sais encore ce que tu vas en faire, comment tu vas le dissimuler aux yeux de tous. Tu réfléchis, réfléchis, réfléchis, mais tu ne sais pas. Tu penses à t’en débarrasser, mais comment ? Cela te semble impossible en ce moment même. Inenvisageable. Etre cleptomane te rendra fou, tu en es sûr.
Tu grimpes les marches carrelées quatre à quatre, direction les dortoirs des garçons. Il y a un peu moins de monde dans les couloirs, et au lieu de te détendre, cela t’angoisse. Tu ne saurais dire pourquoi. Peut-être parce que ce que tu caches n’en est que plus visible. Alors, par instinct, tu resserres ton emprise sur ton sac et tu continues de te frayer un chemin, comptant les pas qui te séparent de la porte de ta chambre.
Cents mètres. Donc à peu près cents pas.
Tu te dépêches, encore. Dans quelques secondes, tu y es. Enfin.
Tu pousses la porte avec empressement et tu t’engouffres dans la pièce, où règne un bazar sans nom. Un amoncellement d’objets s’étale en un équilibre précaire un peu partout : dans les coins ; à même le sol ; sur la table qui faisait office de bureau ; et même sur ton propre lit. Tu laissas tomber ton sac sur le sol et te passa une main dans les cheveux.
Du coin de l’œil, tu aperçus ton colocataire, installé sur son lit, roulé en boule comme la plupart du temps. Ses yeux rougis témoignaient des pleurs qui l’avaient affectés il y a peu. Tu avais l’habitude de la situation, tu y avais affaire quasiment tous les jours, depuis que vous étiez fourrés ensembles. Une idée de la direction.
En le détaillant du regard, tu te demandas s’il pourrait l’aider à cacher cet objet… encombrant. Après tout, entre colocataires, vous pouvez vous entraider, non ? Et cela ne te coûterais rien de demander, de toute manière, il verrait bien cet objet, un jour ou l’autre.
« Hey, Addy, tu peux m’aider à cacher ça s’teu plaît ? »Pas plus, pas moins, tu n’avais pas besoin d’en dire plus pour te faire comprendre. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’il comprenne ce que tu voulais dire par là. Du doigt, tu désignais ta sacoche dont le rabat avait glissé et laissait voir un bout de l’objet, dont le métal était peint en blanc. Comme ça, on ne pouvait pas vraiment de quoi il s’agissait, mais si on y prêtait plus d’attention, on remarquait que ce qui se trouvait dans ce sac n’était autre qu’une antenne satellite. Une des rares que possédait le pensionnat qui commençait tout juste à s’ouvrir à la fantastique découverte des ondes radio.
Pourquoi tu avais volé ça ? Tu ne sais pas. Tu es cleptomane, c’est tout.